Rencontre avec Vincent Hilaire

Il est temps de vivre la vie que tu t’es imaginée. I Henry James

En quête continuelle d’aventure, de poésie, de grands espaces, Vincent Hilaire est de ceux qui se battent pour vivre leurs rêves. Navigateur, écrivain, photographe, caméraman, journaliste, il a été correspondant d’expédition à bord de la goélette polaire Tara d’abord en Arctique pendant la nuit polaire du 23 septembre 2007 au 23 février 2008 lors de l’expédition scientifique Tara Arctic, puis en Antarctique en janvier 2011 lors de l’expédition scientifique Tara Oceans.

C’est en noir et blanc qu’il a décidé de décrire ces déserts de glace.  Vincent Hilaire expose actuellement une trentaine de photos au pied du Pont Alexandre III à Paris dans le cadre de l’escale de Tara jusqu’au 27 janvier 2013.  Il est également l’auteur d’un livre NUIT POLAIRE, ETE AUSTRAL, paru aux éditions Magellan & Cie, recueil de photos et de textes écrits au jour le jour durant ces deux séjours sur Tara.  Rencontre avec un aventurier hors du commun qui chérit la vie comme un bijou.

Vincent HILAIRE - 1

Quel a été votre parcours avant d’embarquer pour la grande dérive à bord de Tara en septembre 2007 ?

J’ai grandi à Marseille, d’où mon attirance pour la mer, la voile, les bateaux, les marins, la pêche, la Méditerranée. A 16 ans, je suis venu étudier l’économie à la Sorbonne à Paris. Lorsque j’étais étudiant, je faisais déjà beaucoup de photographies en noir et blanc dans les rues de Paris. J’aimais également le journalisme, la presse écrite et la radio. J’animais notamment un programme à la radio consacré à la vie étudiante. J’ai ensuite passé le concours de l’Institut Français de Presse.  J’ai fait quelques stages en tant que journaliste reporter, rédacteur et caméraman. J’ai notamment été stagiaire rédacteur pour Thalassa. Clin d’œil du destin : c’est dans le cadre de ce stage, qu’en 1992, pour la première fois, j’ai mis le pied sur le pont de l’Antarctica (devenu ensuite Tara) ancré à Camaret-sur-Mer. J’ai ensuite été recruté en qualité de journaliste reporter et présentateur par France 3. J’ai travaillé pour cette chaîne pendant 18 ans.

Pourquoi vouliez-vous embarquer à bord d’un bateau pris dans les glaces ? Rêviez-vous de voir le pôle Nord ?

Je rêvais avant tout d’aventure.

J’aimais beaucoup les déserts. J’ai découvert le désert marocain lorsque j’avais 23-24 ans.

A 29 ans, j’ai participé à la Transat des Alizés avec quatre autres équipiers. Nous avons navigué de Brest à Casablanca puis à Pointe-à-Pitre.

J’ai ensuite cherché à renouveler ce type d’expériences. J’ai tenté de participer à une expédition en Antarctique organisée par des montagnards. J’ai également obtenu en trois mois mon diplôme de scaphandrier pour participer à un projet audiovisuel sur les fonds marins, dans la lignée des aventures de la Calypso avec les moyens technologiques modernes. Je voulais aussi participer au projet « Pourquoi pas l’Antarctique » initié par Isabelle Autissier en 2003-2005. Aucun de ces projets n’a malheureusement vu le jour, mais je n’ai jamais baissé les bras. J’ai toujours été très déterminé.

En 2007, suite à un reportage télévisé sur les expéditions de Tara, j’ai contacté Romain Troublé, actuellement Secrétaire Général et Directeur des opérations de Tara Oceans. Mon profil correspondait à ce qu’ils recherchaient.  J’ai alors rencontré Etienne Bourgois, propriétaire de Tara et président de Tara Expéditions.  Et il m’a recruté pour être correspondant à bord de Tara pendant la dernière étape de la dérive en Arctique.

Je pense que j’ai eu beaucoup de chances et que j’ai fait de belles rencontres qui m’ont permis de réaliser mes rêves d’aventure.

Comment vous êtes vous préparé physiquement et mentalement pour ces expéditions ? Vous êtes vous préparé spécifiquement à affronter l’isolement et le froid ?

Je n’ai pas suivi de préparation spécifique.  Je fais toujours du sport, du footing, de la marche, de l’équitation.  Je pratique aussi beaucoup le yoga.  J’ai continué à faire mon yoga sur Tara pendant mes heures de quart.  Pratiquer la Salutation au Soleil pendant la nuit polaire était tout à fait nouveau pour moi !

Avez-vous pris part aux travaux scientifiques pendant vos deux séjours à bord de Tara ? Saviez-vous précisément ce que recherchaient les scientifiques ?

Oui, je savais exactement quelles données les scientifiques – des ingénieurs océanographes – collectaient et pourquoi. Tous les Taranautes étaient impliqués dans les travaux scientifiques. Je posais aussi beaucoup de questions.

Vous écrivez dans votre journal de bord qu’après un certain nombre de jours passés dans la nuit polaire, les Taranautes « commençaient à être sous l’effet de la nuit polaire, un brin déjantés ».  Vous deviez vous astreindre à une activité régulière pour éviter la déprime. Quelles étaient vos occupations à bord de Tara ?

Nous étions très occupés. Nous travaillions 4 à 5 heures par jour pour la science.  Puis nous étions affectés à tour de rôle aux autres activités de bord : corvées de glace, cuisine, quarts, nettoyage du bateau, ramassage du camp déployé autour de Tara avant les tempêtes ou en prévision de la sortie des glaces…etc.  A la fin de la dérive, nous avions beaucoup de travail pour préparer le bateau en vue de sortir des glaces et de naviguer à nouveau.

Pour nous détendre, nous faisions des balades en ski. Un soir par semaine, c’était le jour du banha russe. Un sauna à 80°C. Tout l’équipage se réjouissait dès le matin de profiter de cette distraction. Après quelques minutes passées dans une chaleur étouffante, le jeu consistait ensuite à s’asperger d’eau glacée ou à se baigner carrément dans l’océan gelé.

Ce n’est qu’après avoir participé aux corvées du bord que je pouvais photographier, tourner les images et écrire les articles que me commandait l’équipe de Tara à Paris.  J’ai souvent été confronté à un cruel dilemme car ce qui était vraiment intéressant à filmer nécessitait aussi mon aide !

Avez-vous vu des ours lors de votre expédition en Arctique ?

Oui, à deux reprises.  La première fois, ils ne sont pas restés longtemps. J’ai à peine eu le temps de faire une vidéo. La deuxième fois, les chiens ne les ont pas sentis venir à cause du vent. Ils ont aboyé au dernier moment lorsqu’ils étaient tout près du bateau. J’étais fasciné de les voir.

Lorsque vous avez embarqué à bord de Tara en septembre 2007, saviez-vous déjà que vous feriez un reportage de photos en noir et blanc ?

Oui. Cela était naturel pour moi.

Quand j’ai commencé la photographie, je travaillais en noir et blanc. Je conserve toujours mon premier appareil photo que l’on m’a offert quand j’étais enfant. C’était un Instamatic. C’est avec cet appareil que j’ai fait mes tout premiers clichés !

Le noir et blanc me semblait plus adapté que la couleur pour raconter la nuit polaire. L’absence de lumière du jour donne aux photographies un caractère presque irréel, les hommes sont transformés en personnages flous et fantomatiques. Le noir et blanc met en valeur l’ambiance très particulière de la nuit polaire.

Personne n’avait réalisé un travail artistique en noir et blanc aussi conséquent en Arctique au contraire de l’Antarctique avec les photos de Franck Hurley, illustre photographe et cinéaste, qui a participé à l’expédition à bord de l’Endurance avec Sir Ernest Henry Shackleton de 1914 à 1917.  C’était l’occasion de le faire au Nord.

Enfin, le noir et blanc donne un caractère historique aux photos.

Comment avez-vous choisi les trente photos de votre exposition « d’un pôle à l’autre » ?

J’ai pris plus de 8000 photos lors de chacune de mes expéditions. Il m’a fallu beaucoup de temps pour faire une pré-sélection, puis pour choisir parmi cette pré-sélection les trente photos qui sont exposées.  Des regards extérieurs m’ont aidé à finaliser mon choix afin d’éviter que je ne sélectionne une photo que pour des raisons personnelles, subjectives, parce qu’elle a été prise dans un contexte particulier pour moi.  Je m’enrichis des critiques des autres.  Je veux savoir comment ils réagissent à mes photos avec leur propre sensibilité.

Vous écrivez dans votre journal de bord : « Beaucoup de choses s’éclairent, et petit à petit le fait d’être loin des turbulences de la vie urbaine apporte beaucoup de paix et de recul » et « Que sera ma vie au retour ? Ce que j’en ferai ! Je suis libre de choisir quelle vie je veux mener ».  Votre vie a-t-elle changé après vos deux expéditions à bord de Tara ?

Oui, ma vie a beaucoup changé. J’ai eu la chance de réaliser plusieurs rêves, artistiques, professionnels, marins, aventureux.  Je me suis enrichi de ces expériences. Je me connais mieux.

Quels sont vos projets ?

Tara fera le tour de l’Arctique de mi-mai à mi-novembre 2013.  Je les rejoindrai j’espère, à partir du mois d’août pour le passage du Nord-Ouest.

J’exposerai à nouveau mes photos en 2013 lors des escales de Tara et je prépare également quelques expositions personnelles. Je conçois ces expositions comme une invitation à réfléchir sur les changements climatiques, nos modes de vie actuels reposant trop souvent sur un confort illusoire, éphémère et dangereux pour l’avenir de notre planète.

Enfin, je travaille actuellement sur un projet de livre sur les pays des glaces qui devrait être publié au cours du premier semestre 2013.

Pour plus d’informations sur les travaux et projets de Vincent Hilaire, nous vous invitons à consulter son site internet : http://www.vincenthilaire.fr/.  Vous pourrez également trouver des informations complémentaires sur Tara Expéditions en cliquant sur le lien suivant : http://oceans.taraexpeditions.org/?id_page=1

Entretien réalisé par Runners to the Pole en novembre 2012.