Il court depuis toujours. Il court là où d’autres marchent. Et pourtant Sylvain Bazin est tout sauf un homme pressé. A la recherche de liberté, de sens, de spiritualité, d’introspection, à la recherche de lui-même mais aussi des autres. Un peu aussi pour le plaisir de la gestuelle. Surtout pour vivre l’expérience du temps. Certainement pour se rattacher au monde, se concentrer sur l’essentiel.
Journaliste, coureur d’ultra-trails, arpenteur de grands chemins, Sylvain Bazin a une maturité qui nous ferait oublier qu’il n’a que 35 ans…
Un excellent palmarès – entre autres, vainqueur des 100kms Sunrise to Sunset en Mongolie en 2009, vainqueur du Lofoten Marathon en 2009, vainqueur de l’Ultra Trail de l’Atlas en 2005 et 2007, 9ème de l’Annapurna Mandala Trail en 2008, 15ème des 20kms de Paris en 2002, 3ème des Gendarmes et des Voleurs de Temps en 2002, etc – mais cela n’est pas le plus important pour lui. Sa quête est ailleurs.
Certainement dans son Trail World Tour, un grand projet entamé en 2012 qui consiste à parcourir les grands sentiers de la planète en courant. Après Saint-Jacques de Compostelle – 1950 kilomètres entre Aix-les-Bains et Fistera – au printemps 2012, son Trail World Tour l’a mené sur le Great Himalaya Trail au Népal à l’automne 2012 – qu’il ne pourra malheureusement pas finir, victime d’un grave accident – puis sur le chemin sacré des 88 temples au Japon en début d’année 2013 – un trek autour de l’île de Shikoku et de l’île principale d’Honshu sur une distance d’environ 1350 kilomètres.
Il se prépare actuellement pour un autre périple, la Via Francigena, de Canterbury à Rome, « un chemin un peu plus difficile que le Saint-Jacques de Compostelle » nous confie-t-il.
Nous l’avons rencontré quelques jours avant son départ le 15 octobre prochain pour cette quatrième étape de son Trail World Tour.
Entretien avec un homme de défis qui a fait du trail son mode de voyage, un voyage léger propice à la contemplation, entretien avec Sylvain Bazin.
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé à courir très jeune et je ne me suis plus jamais arrêté.
A 11 ans, je participais déjà à des compétitions. Ces premières courses m’ont beaucoup plu. J’étais passionné par l’athlétisme en général. J’ai toujours été un touche-à-tout.
J’ai évolué assez rapidement. J’étais surtout intéressé par le format longue distance. Je me présentais toujours aux épreuves les plus longues pour ma catégorie d’âge, semi-marathon dans la catégorie junior, marathon dans la catégorie espoir.
J’ai commencé le trail en 1999, à 21 ans, en parallèle des autres disciplines de course à pied. Mon premier trail : les Templiers. Puis, le trail s’est imposé peu à peu. Aujourd’hui, je préfère le trail à la route car il me permet de voyager, de découvrir de nouveaux paysages. Et c’est une discipline dans laquelle la performance est moins importante que sur la route, même si cela a beaucoup évolué durant les dernières années.
Je ne progresse plus autant que quand j’étais étudiant. A cette époque, j’ai gagné quelques trails en France et surtout à l’étranger. Maintenant, je suis plus intéressé par mes défis personnels comme le Trail World Tour que par la compétition.
Professionnellement, j’ai fait le choix de vivre de ma passion. J’écris pour la presse spécialisée depuis 8 ans. J’ai toujours été proche du journalisme. J’ai commencé par écrire des articles en parallèle de mes autres activités et je me consacre pleinement à cette activité depuis 4 ans. Je couvre les trails en France et à l’étranger. La plupart du temps, je participe également aux courses mais c’est parfois compliqué de gérer les deux, comme pour l’UTMB par exemple, auquel cas j’assiste à la course mais ne prend pas de dossard.
A combien de courses participez-vous chaque année ?
C’est très variable. Depuis 2012, j’ai beaucoup moins le temps de participer à des compétitions car le Trail World Tour m’occupe durant plusieurs mois.
Sur une année, je dois participer à une dizaine de courses de plus de 100 kilomètres. A cela, il faut rajouter les courses de moindre distance – je ne les compte plus – et mon Trail World Tour qui m’amène sur chaque périple à courir 50 kilomètres par jour pendant une quarantaine de jours.
A vrai dire, je ne compte plus les kilomètres !
Quels sont les types de trail que vous préférez ?
Je préfère les trails roulants sans dénivelé pour la performance, sinon j’aime bien aussi les trails en montagne. Je n’ai pas grandi en montagne ; je suis donc moins à l’aise sur les trails qui comportent beaucoup de dénivelés même si en montée je suis arrivé à bien compenser, en descente, cela dépend des jours et de la forme.
Je préfère les trails par étapes plutôt que les trails très longs qui se courent en plus de 20 heures et qui impactent le sommeil.
Est-ce que vous vous entraînez ?
Plus vraiment aujourd’hui, d’autant plus que je ne vise pas la performance. Je participe à beaucoup de courses, de telle sorte que cela constitue un entraînement continu. Quand je ne participe pas à une course ou que je ne suis pas sur les chemins de mon Trail World Tour, je récupère. Je n’ai pas de plan d’entraînement. Je ne fais plus de fractionnés par exemple. Je vais courir quand j’en ai envie au rythme qui me plaît.
Il m’arrive de m’entraîner durant les périodes creuses sans course ou défi, en hiver notamment.
Quels sont vos plus beaux souvenirs de course ?
En termes de sensations de course, c’était il y a plus de dix ans quand je faisais de la piste et que j’étais champion d’Ile de France du 10 000 mètres. La sensation de vitesse était agréable.
En trail, j’ai vécu de très beaux moments. Une course me laisse de bons souvenirs quand je découvre de nouveaux paysages, quand je fais de belles rencontres. En trail, ce sont davantage les découvertes qui me plaisent.
J’aime les trails dans l’Himalaya. J’ai notamment gardé un très bon souvenir de la reco en 2011 avec Bruno Poirier du parcours d’une nouvelle course au Népal, l’Annapurna Ultra Mountain.
Je garde de très bons souvenirs des trails qui ne sont pas encore trop fréquentés. La semaine dernière, j’ai participé à la première édition du Trans Atlas marathon. Il n’y avait pas beaucoup de concurrents, l’endroit était très sauvage, la course requière un véritable engagement physique, et un esprit d’aventure. J’ai beaucoup aimé !
Je garde aussi un excellent souvenir de mes défis personnels, le chemin de Saint-Jacques de Compostelle et le chemin des 88 temples au Japon.
Quelle est la compétition la plus difficile à laquelle vous ayez participé ?
L’Himal Race au Népal. J’ai participé à cette course en 2010. Les endroits sont sauvages, peu fréquentés. Cette course est très engagée. Nous ne connaissons pas la longueur des étapes à l’avance. Cette course relève davantage de l’aventure que de la compétition encadrée et organisée !
Une course où on ne vous verra jamais ?
Les courses de 6 jours (sur tapis). Je ne pourrai pas trouver de plaisir dans une telle pratique.
Existe-t-il encore une course à laquelle vous n’ayez pas participé et dont vous aimeriez prendre le départ ?
J’ai participé à de nombreuses courses mais je ne les ai pas toutes faites ! J’aimerais participer à des 100 miles aux US. Je n’en ai jamais fait. Je vais essayer d’en faire une même si, avec mon Trail World Tour, j’ai aujourd’hui moins de temps pour penser et organiser ma participation à de nouvelles courses que je ne connais pas.
Quels sont les objectifs du Trail World Tour ?
C’est un projet qui relève plus du voyage que de la performance. Au cours de mes périples, je profite pleinement du moment présent. Ceci étant, ces voyages requièrent un engagement psychologique et total pour accéder à une autre dimension de l’effort.
Le Trail World Tour est aussi l’occasion pour moi de laisser des traces grâce à l’écriture et à la photo. Tous les jours, je poste des récits et des photos sur internet. J’aime le récit dans l’immédiateté.
Le partage est un élément essentiel de mon Trail World Tour. Je cours généralement 50 kilomètres par jour. Je pourrai en faire beaucoup plus. Ceci étant, il était important pour moi de libérer du temps le soir pour rencontrer les autres pélerins et écrire.
J’ai choisi des itinéraires historiques qui m’attirent. Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle s’est naturellement imposé pour mes partenaires car c’est le plus célèbre. J’ai commencé par le Saint-Jacques car il me semblait logique de commencer par le chemin qui était le plus près de chez moi pour pouvoir partir à pied.
Comment se déroulent vos journées sur les chemins ?
J’alterne course et marche rapide avec une vitesse moyenne comprise entre 7,5 km/h et 8 km/h. Mon parcours est planifié au jour le jour avec un objectif de distance quotidienne. Je sais à l’avance où je vais dormir le soir. Il ne m’est arrivé qu’une seule fois, au Japon, de m’arrêter avant la fin d’une étape et de changer mes plans. En effet, je ne me fatigue jamais à courir – enfin un peu quand même! mais disons que je gère bien ce genre d’effort solitaire – car j’ai une grosse expérience de la course à pied et de l’endurance. Je connais mon rythme. C’est plus facile de courir à son propre rythme sur un chemin que de se caler sur le rythme d’un autre concurrent durant une compétition.
Je dors généralement dans les refuges ou les gîtes. Cela me permet de rencontrer d’autres personnes et partager mon expérience. C’est avant tout ce que je recherche. Les personnes que je rencontre sont étonnées de savoir que je suis parti le matin d’un gîte dans lequel ils ont dormi trois jours plus tôt ! Parfois, certaines personnes viennent faire un bout de chemin avec moi ; souvent des trailers.
En 2012, vous faites une grave chute sur le Great Himalaya Trail qui vous contraint à l’abandon. Pensez-vous repartir à nouveau un jour pour ce trek ?
Oui, mais différemment, avec des amis par exemple. Je ne veux pas retenter la même expérience dans les mêmes conditions. C’était une expérience très douloureuse.
Quels sont vos projets ?
Je pars pour la Via Francigena le 15 octobre. Je devrais arriver à Rome début décembre. Je pars ensuite dans la foulée sur la reco d’un nouveau trail en Thaïlande.
En 2014, toujours dans le cadre de mon Trail World Tour, je vais parcourir la Via de la Plata de Séville à Santiago sur environ 1000 kilomètres, un autre itinéraire du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, exclusivement espagnol.
J’ai ensuite prévu d’effectuer la traversée des Carpates – soit environ 2400 kilomètres. Je souhaiterais clôturer l’année 2014 avec le sentier des Appalaches au Canada en duo avec un ami du PGHM de Chamonix, Franck Junod.
En 2015, j’aimerais traverser les Etats-Unis en courant d’Est en Ouest.
A noter, la sortie du premier livre de Sylvain Bazin, Pèlerin express, les Chemins de Compostelle en courant, paru aux éditions Outdoor Editions en collaboration avec le bloggeur – illustrateur Matthieu Forichon du site Des bosses et des bulles. Dans ce livre, Sylvain Bazin raconte ses 40 jours de voyage à pied sur la Via Podiensis et le Camino Frances. Il présentera et dédicacera son livre les 27 et 28 septembre au Puy, dans le cadre du Grand Trail du Saint-Jacques.
Pour suivre tous les périples de Sylvain Bazin, nous vous invitons à vous connecter sur son blog : http://sylvainbazin.blogspot.fr/.
Entretien réalisé par Runners to the Pole en septembre 2013.